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Réforme du décret paysage, de quoi parle-t-on ?

Paysage de l’enseignement supérieur

07.10.2021

La ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Glatigny, a déposé sur la table du gouvernement un avant-projet de décret réformant le décret “Paysage”. Ce décret règle grosso modo toute l’organisation des études supérieures.

La ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Glatigny, a déposé sur la table du gouvernement un avant-projet de décret réformant le décret “Paysage”. Ce décret règle grosso modo toute l’organisation des études supérieures.

L’objectif de cet article est, dans un premier temps, de comprendre ce que la réforme change dans le dispositif actuel et, dans un deuxième temps, de questionner son objectif et son impact réel.

Que prévoit cette réforme ?

Les modifications principales portent sur trois points : la note absorbante, les conditions de réussite (et de composition du programme annuel d’étude – “PAE”) et les conditions de finançabilité.

1. La note absorbante

KESAKO ? La note absorbante c’est cette pratique qui permet de te mettre un échec à une unité d’enseignement (UE) pour laquelle ta moyenne est, pourtant, positive. Actuellement, la note absorbante est une pratique illégale, le Conseil d’État l’a rappelé à plusieurs reprises… mais la réforme de la Ministre prévoit de légaliser sa pratique.

Concrètement, ça veut dire quoi ? Imaginons que ton PAE est composé d’une UE qui comprend trois activités d’apprentissage (AA). Le principe, c’est que le regroupement de ces AA est pertinent d’un point de vue pédagogique. Ce sont des matières complémentaires comme le sont différents chapitres d’un même cours. Tu passes tes examens et tu obtiens une note de 15/20 à la première AA, 13/20 à la deuxième et 8/20 à la dernière. Si on fait la moyenne arithmétique, tu obtiens une note de 12/20 pour cette UE. Félicitations, celle-ci est validée. Si maintenant, ton établissement applique la note absorbante, dans ce cas tu obtiens 8/20 pour l’ensemble de l’UE, la moins bonne note “absorbant” les autres. L’unité d’enseignement entière est donc ratée et tu n’obtiens aucun crédit.

On verra ensuite que la pratique de la note absorbante aura un impact non-négligeable sur ta capacité à remplir les conditions de réussite et de finançabilité.

2. Les conditions de réussite (et de composition du PAE)

Actuellement, une fois que tu as validé 45 crédits de ton programme de BA1, tu es admis·e en « poursuite de cycle ». Si tu as acquis entre 30 et 44 crédits, moyennant l’accord du jury, tu peux inscrire à ton programme des crédits de la suite du cycle. Si tu as acquis au moins 45 crédits, tu peux inscrire à ton programme les crédits de la suite du cycle, sans l’intervention du jury. En principe, tu ne peux t’inscrire qu’à des cours pour lesquels tu as les prérequis mais le jury peut accepter de transformer des prérequis en corequis afin de te permettre d’avancer dans ton parcours. Enfin, toujours dans l’optique de te permettre d’avancer, le jury peut valider un programme supérieur à 60 crédits.

Enfin, si tu te diriges vers un master et qu’il te reste 15 crédits maximum de ton bachelier à valider tu peux inscrire des cours de master à ton programme et être considéré·e comme inscrit·e en master. Si tu dois encore valider plus de 15 crédits, tu peux, sous réserve de l’accord du jury, compléter ton programme avec des cours de master.

La réforme va profondément changer ce système. En effet, elle prévoit que tu resteras inscrit en BA1 tant que tu n’auras pas validé tes derniers crédits. Par ailleurs, si tu valides entre 45 et 59 crédits, tu pourras inscrire à ton programme des cours de la suite de ton cursus mais cette possibilité devient sujet à validation par le jury.

Si tu valides entre 30 et 44 crédits, à ta demande et sous condition de l’acceptation par le jury, tu pourras peut-être inscrire à ton programme des crédits de la suite du cycle. En-dessous de 30 crédits, il n’y aura aucune possibilité d’anticiper des cours.

Dans tous les cas, ton programme ne pourra pas dépasser 60 crédits (65 si tu valides 55 crédits lors de l’inscription précédente).

Autre nouveauté, qui empêchera l’avancement dans ton parcours, il sera interdit de modifier des prérequis en corequis sauf en fin de cycle.

Si tu te diriges vers un master et qu’il te reste maximum 15 crédits à valider, tu pourras compléter ton programme de cours de master mais tu resteras inscrit·e en bachelier. S’il te reste plus de 15 crédits à valider, tu ne pourras t’inscrire à aucun cours de master.

3. Les conditions de finançabilité

Pour pouvoir s’inscrire dans l’enseignement supérieur, il faut, sauf dérogation, être finançable.

Actuellement, tu es finançable dès lors que tu as réussi au minimum 75% de ton programme annuel ou la moitié du total des crédits inscrits à ton programme lors des 3 dernières inscriptions (auquel cas, ta première inscription n’est pas prise en compte dans le calcul de ta finançabilité si elle est défavorable). Tu peux actuellement t’inscrire deux fois à un même cursus, peu importe le nombre de crédits que tu as réussi et, si tu te réorientes, tu peux t’inscrire trois fois en BA1.

Là aussi, la réforme propose une refonte profonde de ce système. Ainsi, sous le régime de la réforme, tu seras finançable si : tu as réussi au minimum 1 unité d’enseignement lors de ta première inscription, tu as validé au bout de deux ans les 60 premiers crédits de ton programme (ou 60 crédits dont 50 de la première inscription sous réserve de l’accord du jury ; ou 50 crédits si tu en as validé moins de 30 lors de ta première inscription). C’est complexe, on te l’accorde. Tu as ensuite 4 ans pour valider 120 crédits et 5 ans pour valider l’ensemble des crédits de ton bachelier. Si tu te réorientes, tu bénéficies d’une année supplémentaire. Si tu ne remplis pas ces conditions, tu ne seras plus finançable et tu ne pourras pas continuer tes études, à moins qu’un établissement accepte malgré tout de t’inscrire. Dans ce cas, tu récupèreras ta finançabilité si tu réussis 100% des crédits auxquels tu es inscrit·e.

C’est quoi le problème ?

Il est certainement utile de rappeler que la FEF est très critique vis-à-vis du décret paysage actuel. En effet, alors qu’à l’époque de son adoption, l’ambition affichée par le ministre Marcourt était de démocratiser la réussite et de permettre aux étudiant·e·s précaires de mieux réussir, force est de constater que le décret n’a pas répondu à cet objectif. Pire, il fait le jeu de la marchandisation de l’enseignement supérieur en participant à une dynamique de concurrence (notamment parce qu’il traduit en Communauté française la volonté d’homogénéisation européenne de l’enseignement supérieur – voir à ce propos notre note de position “Les 9 commandements”).

Mais la réforme de la ministre ne va pas dans le sens d’une amélioration…

À lui seul, ce futur système de finançabilité est beaucoup plus excluant que l’actuel en ce que les conditions de finançabilité sont plus compliquées à remplir. La mesure sur la note absorbante et sur les conditions de réussite et de composition du PAE, parce qu’elles empêchent ta progression dans ton parcours, ont pour effet de rendre ce système de finançabilité encore plus excluant. Comment faire pour atteindre le nombre de crédits requis dans le temps imparti alors que tu ne peux plus anticiper autant qu’avant et qu’un échec dans un petit acquis d’apprentissage (AA) t’empêche de valider l’ensemble des crédits de l’UE ? Tu auras noté au passage que le jury aura le pouvoir de déterminer si tu as le droit de continuer tes études… A partir de quel critère ? La réforme n’en prévoit pas, laissant la porte ouverte à l’arbitraire et aux différences de traitement injustifiées.

Selon la ministre, le fait d’instaurer un système plus lisible de finançabilité va induire un changement de mentalité et de stratégie chez toi face à ta réussite (et donc de permettre de mieux réussir qu’actuellement).

Comment dire… D’abord, on ne peut pas vraiment dire que le futur système de finançabilité est plus lisible (et encore, on a été sympathique, on t’a épargné les règles en cas d’allègement, d’année passerelle, celles spécifiques au master). Et quand bien même… La ministre base sa réforme sur une idée erronée : nous sommes toutes et tous entièrement responsables de notre réussite qui n’est rien d’autre qu’une question de stratégie.

Or, plusieurs enquêtes et analyses imposent un constat : la réussite dans l’enseignement supérieur est intimement liée à ta condition sociale. Et en termes de condition sociale, la situation est grave puisque 36% des étudiant·e·s sont en situation de précarité étudiante…(1) Ainsi, une analyse de la Commission d’Aide à la Réussite de l’ARES (2) indique que si tu proviens d’une école dont l’indice socio-économique est faible, tu as seulement 13% de chance de valider l’ensemble de tes crédits lors de ta première inscription. Une enquête (3) de l’OVE (4) de l’ULB indique quant à elle que 54% des étudiant·e·s qui jobent le font parce que c’est indispensable pour financer leurs études. Ce faisant, iels diminuent leurs chances de réussite (ce qui s’explique notamment par le fait que 1 étudiant·e jobiste sur deux rate régulièrement les cours pour travailler). Cette même enquête montre que 65% des étudiant·e·s qui connaissent des fins de mois difficiles ont déjà redoublé au moins une fois.

Ce qu’on essaye de faire comprendre à la ministre, c’est que la réussite ne dépend pas de ta responsabilité individuelle. Le taux d’échec dans l’enseignement supérieur est principalement dû à l’inégalité de notre système. Et ce n’est ni l’inaction de la ministre à l’égard de la précarité, ni le manque d’ambition – financière et de fond – de la réforme de l’aide à la réussite qui vont permettre de résoudre ce problème d’inégalité.

Tous ces constats mènent à la conclusion que cette réforme va – en répétant les erreurs du passé – provoquer un drame socio-économique et une élitisation de notre enseignement supérieur. Si la ministre veut vraiment lutter contre l’échec, il faut, avant de s’intéresser à la structure du parcours étudiant, absolument qu’elle mette en place des mesures structurelles permettant d’efficacement lutter contre la précarité. Il faut aussi qu’une réflexion de fond soit menée sur l’aide à la réussite (voir à ce propos notre note de position « Suricate ») et qu’elle opère un refinancement public de l’enseignement supérieur d’une ampleur bien plus importante que celle annoncée.

 

(1) Etude BDO-SONECOM sur la condition sociale des étudiants.

(2) Académie de Recherches et d’Enseignement supérieur

(3) Consultable sur https://www.ulb.be/fr/l-ulb-s-engage/ove

(4) Observatoire de la Vie Étudiante